Comment les compagnies d’assurance réinventent-elles leurs démarches de construction des offres et de couverture des risques, pour s’adapter aux besoins issus de la nouvelle économie ?

Commander un Uber pour aller à l’aéroport, rechercher une location sur leboncoin.fr, se faire livrer son repas via Deliveroo… Aujourd’hui les nouveaux usages et modes de consommation se multiplient très rapidement et les français, qui en sont particulièrement friands, les ont complètement intégrés à leur quotidien.

Mais ces nouveaux modèles, qui jouent la carte de la simplicité, l’accessibilité et l’absence de contraintes, ne sont pas pour autant exempts d’obligations réglementaires et légales. Il est donc aujourd’hui nécessaire de repenser et d’adapter la réglementation et les solutions en termes de responsabilité juridique, de droits d’usage… mais aussi d’assurances. Les compagnies d’assurance ont, et vont avoir, un rôle clé à jouer dans cette transition. Frileuses au départ, elles ont finalement compris qu’il était indispensable de travailler sur ces sujets, et d’anticiper les évolutions sociétales et réglementaires de demain.

La modification nécessaire du mécanisme assurantiel

Les offres « traditionnelles » d’assurance ne sont pas adaptées aux codes de la nouvelle économie. Pour ces modèles émergents, l’enjeu majeur est souvent la mise en relation des individus, à l’instar des sites de covoiturage ou de location entre particuliers. C’est également une économie davantage basée sur la volonté individuelle, permettant aux individus de réaliser des transactions avec un fonctionnement peer to peer, sans autorité centrale pour réglementer chaque opération. Enfin, et surtout, dans la logique de beaucoup de nouveaux concepts, l’usage prime désormais sur la possession. Le besoin n’est plus de se protéger des risques concernant son véhicule ou sa maison de vacances, mais des menaces liées au trajet réalisé dans la voiture d’un covoitureur, ou aux quelques jours passés dans une location Airbnb.

Comment assurer la voiture d’un particulier louée par un tiers ? Comment garantir l’arrivée à destination d’une personne utilisant le covoiturage ? Comment couvrir les logements qui font l’objet d’échanges entre particuliers ? Quelle est la responsabilité de la plateforme ? Ces nouveaux codes amènent avec eux tout un lot de questions, auxquelles les compagnies d’assurance n’étaient pas confrontées jusqu’à présent.
Il s’agit donc aujourd’hui de modifier en profondeur la logique du mécanisme assurantiel, pour s’adapter et être capable de répondre aux besoins de cette nouvelle économie.

Une adaptation de la démarche de construction des offres

Les assureurs se retrouvent confrontés à de nouveaux produits ou canaux de vente, de nouvelles populations, et bien sûr de nouveaux risques. Pour répondre à des besoins inédits et souvent très spécifiques, les compagnies d’assurance doivent construire des offres personnalisées, souvent par secteur d’activité.

Pour se rapprocher des start-up et « prendre le virage » de la nouvelle économie et du numérique, plusieurs stratégies sont mises en place :

Plusieurs compagnies ont ainsi opté pour l’approche financière, et monté des structures chargées de prendre part dans le développement de jeunes entreprises stratégiquement sélectionnées, comme Covea Next. Cette structure d’investissement dédiée à l’innovation est par exemple entrée au capital de Wezzoo, une plateforme web et mobile proposant des services de météorologie et de santé communautaires. L’intérêt ici est de créer du lien avec les entrepreneurs, tout en diversifiant les investissements.

Les assureurs se sont aussi lancés sur ces sujets avec une approche commerçante, en construisant des offres pour les clients des start-up. Generali a ainsi élaboré une offre pour les clients de Ouicar, qui propose la location de véhicules entre particuliers et AXA à co-créé une assurance pour les covoitureurs de Blablacar. Cette approche facilite l’observation et l’appréhension des nouveaux comportements et usages. La démarche privilégiée est alors celle de la co-construction. Les compagnies mettent à disposition de leurs jeunes partenaires des ressources matérielles et humaines, souvent au travers d’incubateurs et autres lieux dédiés, afin de les placer dans les meilleures conditions pour assurer la réussite de leur projet. Cela permet également d’intégrer la réflexion dès les prémices de la création du business model, pour co-inventer les services d’assurance de demain. L’objectif est d’anticiper au mieux les risques et situations qui vont émerger de chaque nouveau business model et d’élaborer des solutions adaptées, qui feront partie du « package » global de service.

Enfin, les acteurs traditionnels investissent de plus en plus des logiques de collaboration avec les assurtech, à l’origine des risques de disruption du marché de l’assurance. Craignant l’impact que pourrait avoir ce nouveau type de concurrent sur l’activité et les marges, plusieurs assureurs tentent ainsi de transformer cette menace en opportunité. Et chacun y trouve son compte : le grand groupe développe ses compétences en matière de nouvelle économie, et la start-up Assurtech bénéficie de la notoriété, du réseau de distribution et de la puissance financière de son partenaire. L’objectif étant de construire une offre globale.

L’exemple le plus marquant est la création récente de Nior Tech, un accélérateur de start up fondé par 5 leaders des mutuelles de l’assurance (IMA, MAAF, MACIF, MAIF et Groupama Centre Atlantique). Sa proposition est simple : un accompagnement de 9 mois pour quelques jeunes pousses développant des solutions répondant aux enjeux de l’assurance de demain. Ici les compagnies d’assurance travaillent donc davantage avec leurs potentiels partenaires qu’avec leurs clients. Ce projet d’envergure (2 ans de construction et 2M€ de budget) est représentatif de l’importance accordée à ces sujets.

Un pari qui demande investissement et patience

Cependant, ces efforts ne sont pas sans risques et les compagnies d’assurance sont conscientes de la fragilité de ces stratégies, ou seuls quelques candidats transformeront l’essai et connaitront rentabilité et viabilité après quelques années. Les acteurs de la nouvelle économie ont une longévité qui reste incertaine et dont le modèle ne se stabilise souvent qu’après plusieurs mois ou années : en travaillant en forte proximité avec eux, les assureurs partagent aussi leurs inquiétudes.

Un autre sujet majeur est celui de la tarification des offres, qui ne peut être réalisée selon la démarche traditionnelle, c’est-à-dire à partir d’un historique de risques. La maîtrise de ces risques, essence même du métier d’assureur, est largement complexifiée ici. Il faut donc tâtonner, essayer, et ajuster les prix au fil de l’eau.

L’enjeu est double aujourd’hui : en amont, la sélection doit être la meilleure possible, et chacun essaye désormais de « parier sur le bon cheval » ; et en aval il est indispensable de faire durer le partenariat, jusqu’à ce que la start-up devienne rentable et atteigne une taille critique, afin de profiter du retour sur investissement.