Dans une interview donnée à l’Argus de l’Assurance, Gilles Babinet, digital champion auprès de la Commission Européenne, donne son point de vue à propos du décalage qui s’accentue entre la législation française et la révolution numérique en cours. Après avoir présenté les questions éthiques soulevées par l’exploitation de données personnelles, cet entrepreneur en série, déjà à l’origine du rapport « Pour un New Deal numérique » pour l’Institut Montaigne en 2013, expose les enjeux majeurs qui sont ceux des grands groupes d’assurance dans cette nouvelle ère digitale.

« Il est préférable de réguler les usages plutôt que la donnée en elle-même » 

Bien qu’il ne nie pas la nécessité d’avoir un régulateur à l’égard des données (la CNIL), G. Babinet estime que le fait de vouloir réguler en partant des données conduit automatiquement à un mécanisme d’exclusion. Il est vrai que la régulation européenne et française reste particulièrement contraignante : les données personnelles sont couvertes par une réglementation qui ne permet de les utiliser qu’avec le consentement explicite de leur propriétaire. Cela fait d’ailleurs partie des premières pistes du projet de loi sur les droits et libertés numériques dévoilées en janvier dernier par Fleur Pellerin, alors ministre déléguée chargée des PME, de l’innovation et de l’économie numérique.

Selon notre digital champion, en France, le peu de compréhension des enjeux du numérique de la part de la haute fonction publique et du corps politique est un frein considérable à l’installation durable du numérique dans les services publics. En effet, les systèmes digitaux pourraient être incomparablement plus efficaces que ceux que nous connaissons, plus réactifs, plus personnalisés, plus préventifs, et évidemment plus économiques. Mais pour permettre l’émergence de cette dynamique, c’est la nature même de l’état qu’il convient de changer. Par essence, l’état n’adopte que difficilement la culture d’innovation, de rupture, propre au monde numérique. Cela n’empêche pas le niveau d’exigence des citoyens de croître sans cesse. Au niveau européen, les pays baltiques comme la Lituanie ou la Slovénie se démarquent vraiment avec pour le second, plus de 700 services publics accessibles en ligne. Cependant, dans le domaine du privé, et notamment dans l’assurance, le sujet du numérique est dorénavant jugé stratégique au plus haut niveau.

« Les assureurs devraient rentrer dans une logique proactive de collecte massive de données » 

Depuis un an, la majorité des acteurs du domaine de l’assurance ont adapté leurs stratégies à cette révolution digitale. Que ça soit au niveau de la relation client ou de leurs réseaux de distribution, chacun d’entre eux prend conscience de l’impact qu’aura le Big Data sur le secteur de l’assurance. Malgré cela, il subsiste une menace dans ce secteur, menace nommée Google. En effet, le géant américain est déjà très actif sur ce créneau depuis qu’il a commencé à racheter des entreprises telles que BeatThatQuote.com ou Nest Labs. En alliant traitement massif de données et objets connectés, les acteurs externes tels que Google représentent un réel concurrent sur le marché de l’assurance de biens. D’après G. Babinet, le domaine de l’assurance de personnes est également concerné par cette révolution numérique, notamment le système de santé. Nos smartphones, permettent désormais de collecter une masse d’informations incomparables aux relevés ponctuels faits chez le médecin. À terme, l’objectif des grands groupes d’assurance pourrait être de se transformer en véritables plateformes, non plus seulement destinées à assurer, mais à accompagner leurs clients vers du mieux-être et du mieux vivre.