Un an après l’accord AGIRC-ARRCO du 30 octobre 2015, alors que ses premiers effets se font sentir (la revalorisation des pensions de retraites servies est passée, en 2016, d’avril à novembre), les partenaires sociaux, la Cour des Comptes, La Direction Générale du Trésor, médias, associations de retraités et particuliers concernés sortent leur calculette : quel impact chiffré sur le montant des retraites à court, mais surtout à moyen et à long terme ? La pérennité du régime de retraite complémentaire est-elle assurée ou les hypothèses économiques retenues lors des négociations étaient-elles optimistes ? Faut-il s’attendre à ce que les leviers qui constituent cet accord soient à nouveau et rapidement actionnés, accentuant encore l’effort demandé ?

Évolution du montant des pensions de retraite complémentaire : des amalgames dans les médias

Avril 2016 : la presse papier et numérique évalue l’impact de l’accord AGIRC ARRCO du 30/10/2015 sur le montant des pensions de retraite, annonçant que la diminution de leur part complémentaire pourrait atteindre à long terme 14 %, 16 % voire 18 % (en fonction de l’année de naissance du cotisant et de son âge de départ à la retraite). Ces prévisions proviennent d’une interprétation des données du rapport du COR (Conseil d’orientation des retraites, l’organisation pluraliste qui suit et analyse l’évolution des retraites en France) qui paraît chaque année en juin. Tous les analystes convergent sur un point : l’accord du 30/10/2015 a pour effet d’accentuer l’érosion des taux de transformation qui mécaniquement continueront de diminuer de génération en génération, même sans réforme. Mais certains raccourcis parfois polémiques dans la présentation de ces projections dans les médias incitent le COR à recontextualiser dans un communiqué de presse les chiffres de son rapport, et surtout à réexpliquer les modalités de l’accord.

Et, oui, dans certains cas de départ en retraite actionnant un malus, la différence entre la pension de retraite complémentaire d’un cotisant dans 20 ans et celle d’un retraité actuel à iso-droits pourra atteindre 18 %. Mais la part complémentaire ne représentait, en 2015, que 30 à 35 % de la pension de retraite d’un non-cadre, et 50 à 55 % de celle d’un cadre. Et les conditions d’une baisse de 18 %  sont celles d’un non cadre parti en retraite entre ses 60 et 63 ans (soit pendant la période d’application du malus), suivant les modalités actuelles de la mesure bonus / malus l’accord qui rappelons-le pourraient évoluer : l’âge de départ à la retraite sans malus ou encore les montants du bonus et du malus peuvent être redéfinis par les partenaires sociaux, maintenant que le principe de départ « à la carte » est adopté.

Hors bonus / malus, le COR table sur des baisses de la part complémentaire des pensions des cadres salariés dans le privé de l’ordre de 5 % pour les cotisants nés en 1959 et 7 % pour ceux nés en 1975.

Bon, tout va bien, alors ?

Que nenni. Car maintenant que prennent effet les premières mesures temporaires de l’accord, applicables de 2016 à 2018 (décalage de la revalorisation des retraites au 1er novembre, sur-indexation de la valeur d’achat du point, sous-indexation des pensions), c’est l’efficacité de ces mesures et la vraisemblance des hypothèses démographiques, sociales et économiques de chiffrage qui sont diversement appréciées, ici par la Cour des Comptes, là par les Ministères concernés, le tout dans un écho médiatique dissonant.

Car ça commence mal. L’inflation est atone. Deux des mesures temporaires (2016 à 2018) reposant sur le taux d’inflation ne rapporteront pas les 3,4 Md€ d’économies escomptés :

– la sous-indexation de la valeur de service du point, sur l’inflation minorée de 1 point, sans pouvoir être négative (plancher à zéro) ;

– le report du 1er avril au 1er novembre de la revalorisation des pensions servies

Les deux autres modalités temporaires (sur-indexation du point d’achat, extension à la tranche C de la Cotisation AGFF), l’augmentation du taux d’appel des cotisations en 2019 et la fusion des régimes AGIRC et ARRCO devraient permettre d’économiser un peu moins de 2 Md€ d’ici 2020, soit trois fois moins que les projections du COR et de la Direction du Trésor.

La conjoncture économique actuelle a donc fait trébucher le plan de redressement de la retraite complémentaire sur sa première marche. Quid des étapes suivantes ? Il fait peu de doutes que ces mesures à long terme ne suffiront pas à renflouer les caisses de l’AGIRC ARRCO à hauteur des préconisations de la Cour des Comptes. Par exemple, l’impopulaire mesure du bonus / malus (pénalité ou récompense temporaire en fonction de la date choisie pour partir en retraite) ne devrait rapporter que 800 M€ par an, et elle entre en concurrence avec la cotisation AGFF qui devrait donc disparaître. Les projections chiffrées et très complètes de la Direction du Trésor sont à l’évidence bien optimistes et semblent surtout destinées à permettre à la France de répondre aux critères requis par Bruxelles.

La réforme est loin d’être terminée et, on le voit, tâtonne encore un peu.

 

Leviers : le dispositif de l’accord AGIRC ARRCO du 30/10/2015 est paramétrable. Il est constitué de différents leviers dont les taux, seuils et plafonds, ou modalités qui peuvent être modifiés en accord avec les partenaires sociaux en fonction des besoins conjoncturels, sans avoir à refondre la structure même de l’accord.

Taux de transformation : taux de transformation du salaire en rente. Il s’agit du taux qui, appliqué au montant du dernier salaire, permet d’obtenir le montant de la rente de retraite d’un salarié.

Malus : l’une des dispositions de l’accord AGIRC ARRCO du 30/10/2015 est un système de bonus / malus accordé au salarié en fonction de son choix de date de départ à la retraite, entre 60 et 67 ans : malus de 10 % sur le montant de la rente entre 60 et 63 ans, bonus de 10 % entre 64 et 67 ans.

Taux d’appel : taux appliqué au montant d’une cotisation pour en déterminer son prix d’achat. Actuellement, une cotisation de 100 € est payée 125 € car le taux d’appel est égal à 125 %.

Sur/sous indexation : revalorisation d’un indice majorée ou minorée par rapport à son indicateur de référence (= indicateur ± x point).