D’ici 2040, les septuagénaires seront plus de 10 millions en France, dont 1,2 million seront dépendants. Si l’espérance de vie est en progression, l’espérance de vie sans incapacité recule légèrement. Pour la sécurité sociale, cela représentera un surcoût de 9 milliards d’euros. Un gouffre financier. Face à cet enjeu majeur du 21ème siècle, on planche déjà sur une transformation des services aux séniors.

Parmi les pistes sérieuses étudiées à l’assemblée : les gérontechnologies. Un marché émergent, porté par la forte volonté des personnes âgées à développer leur autonomie et vieillir chez elles.

Déjà très présent sur cette tranche d’âge, le monde de l’assurance se doit de rester un acteur majeur dans l’aide et le financement de prestations aux séniors. Mais comment les assureurs prennent-ils part à cette réflexion autour du vieillissement ?

Les NTIC au service des séniors

Quel est le point commun entre un bouchon de bouteille, un pilulier, une canne et un tapis ? Une fois connectés, ces awabotobjets permettent de contrôler, mais aussi de faire contrôler à distance son état de santé. Dans une optique similaire, certaines start-ups se concentrent sur la robotique, autre technologie en plein essor. C’est le cas d’Awabot, qui parie sur le développement de la télé-médecine en proposant un système de télé-assistance mobile. Plus ‘futuriste’, Wandercraft propose, grâce à un prototype d’exosquelette, de rendre la mobilité aux personnes âgées qui ne peuvent plus marcher.

Mais bien que les projets de nouvelles gérontechnologies se multiplient, leur prix élevé limite encore leur démocratisation. Et si certains assureurs associent déjà des objets connectés à leurs offres (en incitant par exemple à la prévention), ce sont des initiatives bien en amont qui pourront stimuler la silver economy (ou économie argentée, au service des âgés), réelle opportunité de croissance.

« La diffusion de ces technologies permettra de faire reculer la dépendance dite évitable et de limiter le nombre d’hospitalisations indues, en augmentant fortement les possibilités de soutien à domicile des âgés », explique Michèle Delaunay, ancienne ministre déléguée chargée des Personnes âgées et de l’Autonomie.

L’assureur, un acteur clé pour la silver economy et les gérontechnologies

Aujourd’hui, on vieillit, devient dépendant, puis on est bien souvent placé en Ehpad. Un choc psychologique pour une personne âgée, un poids financier pour la famille, et à fortiori pour l’État. Ces pratiques doivent changer. Pour cela, il est primordial de revoir les prestations d’assistance à domicile, de les développer, les diversifier. Et pourquoi pas de les automatiser ?

Conscients de ce potentiel, les assureurs commencent à miser sur des projets innovants dans ce secteur. En lançant un appel aux start-ups aux idées novatrices dans la « médecine individualisée et connectée » (Axa Seed Factory) ou en finançant des projets de création de robots au service de l’homme, notamment dans le domaine de la médecine (AG2R pour Robolution Capital), les assureurs affirment leur objectif : accélérer le déploiement des gérontechnologies.

Mais le développement de solutions technologiques contre la dépendance n’est pas sans susciter des questions : qui prescrit ? A quel coût ? Qui finance ? L’Assurance-maladie, les mutuelles, des partenaires privés ? Qui paie, qui est rémunéré ?

En affichant aujourd’hui leur soutien en faveur des projets les plus prometteurs, les assureurs accélèrent le développement du marché, tout en gardant une connaissance exhaustive du sujet. On peut dès lors imaginer que cela leur permettra dans un proche futur de développer une gamme d’offres adaptée aux séniors (préfinancement d’un robot pour sa retraite par exemple), et par conséquent de légitimer de manière encore plus franche leur position au plus près des personnes âgées.

Les freins à la démocratisation

Certes, sur le papier les technologies innovantes sont un levier favorable pour le maintien à domicile des personnes en perte d’autonomie. Cependant, un certain nombre de facteurs pourraient limiter leur expansion. Des risques à ne pas négliger pour les assureurs.

Le premier frein est éthique. Dans la veine de toutes les technologies permettant la récolte et le transfert d’informations, les gérontechnologies pourraient être le vecteur d’une utilisation inappropriée de données. Et même si les assureurs affirment aujourd’hui que les données de santé rassemblées n’auront pas d’incidences sur les primes,  la crainte est légitime.

De plus, dans son souhait de porter la médecine individualisée au premier plan, l’assureur doit suivre son image auprès des assurés. La frontière est mince entre l’intermédiaire patient-médecin facilitateur du maintien à domicile et le ‘Big Brother’ qui surveille l’état de santé au jour le jour de nos séniors. La mayonnaise ne prendra pas si les assurés, premiers concernés, ressentent une intrusion trop forte dans leur quotidien.

Au-delà de l’aspect intrusif, certains dispositifs frôlent l’atteinte à la dignité de la personne. Pour exemple, les dispositifs de géolocalisation (montres, téléphones mobiles ou encore bracelets) à destination des malades d’Alzheimer, d’abord conçus pour éviter une fugue ou errance du patient, peuvent s’avérer extrêmement humiliants. Car quelques dispositifs oublient de prendre en compte la fragilité de la personne, en mettant violemment en évidence la gravité de son cas. L’échec commercial a d’ailleurs conduit à retirer du marché certains de ces bracelets.

Le risque est aussi celui de la déresponsabilisation de l’entourage sur son devoir de soutien. Il sera important de garder à l’esprit Helping an old manque ces technologies ne sont pas infaillibles et ne peuvent donc pas se substituer totalement aux aidants. Et si les personnes dépendantes ont bien sûr besoin d’une aide médicale, qui pourra leur être apportée en partie par les gérontechnologies, c’est aussi la peur de l’isolement qui guette nos séniors. La présence humaine n’est pas et ne sera (espérons-le !) jamais remplaçable par un robot.

Enfin, un autre facteur limitant est institutionnel. Notre recherche est « performante mais éclatée ». Charge au gouvernement de coordonner ces différentes actions, de les promouvoir, mais aussi d’imaginer un modèle économique favorisant la diffusion des   technologies de l’autonomie.

En conclusion, il est clair que l’accompagnement de la fin de vie (appelons plutôt cela « début de seconde vie ») doit être métamorphosé à moyen terme. Les assureurs ont bien compris cet enjeu et tentent d’initier le mouvement en soutenant les gérontechnologies et leur financement. Cependant, ces initiatives sont encore trop éparses et timides pour vraiment concrétiser cette opportunité économique et sociale.

Peut-être la France devrait-elle prendre exemple sur le Japon, qui a fait de la robotique grand public à la fois une réponse au vieillissement et un nouveau secteur moteur pour son économie.