Les accords instituant le droit de sous-option n’ont pas été reconduits par l’Assemblée Nationale. Ainsi, en juin 2014, les travailleurs frontaliers proches de la Suisse ne pourront plus bénéficier d’une couverture d’assurance maladie privée comme c’était le cas auparavant.

Entre mécontentement des Français travaillant en Suisse, et soulagement du gouvernement qui pense faire ainsi économiser plus de 250 millions d’euros par an à la Sécurité sociale[1], quels sont les changements concrets impliqués par la fin du droit de sous-option ?

Le droit de sous-option pour les travailleurs frontaliers

Effectif depuis 2002, le droit d’option est une souplesse qui permet aux travailleurs frontaliers d’exercer une activité hors de France tout en restant couvert par la Sécurité Sociale. Concernant les frontaliers travaillant en Suisse, ils ont actuellement le choix pour leur assurance maladie entre plusieurs options :

  • Opter pour le régime de la Sécurité sociale française en s’affiliant la CMU (Couverture Maladie Universelle). Si ce système de couverture est le système du pays de domicile de ces travailleurs frontaliers, il offre néanmoins des prestations limitées pour les soins spécifiques ou les dépassements d’honoraires ; poussant presque systématiquement à avoir recours à une assurance complémentaire privée.
  • Cotiser au régime d’assurance maladie suisse (LAMal), qui est le régime de couverture maladie de base en Suisse, et dont le fonctionnement diffère du système français, car les personnes couvertes règlent leur cotisation de manière individuelle (pas de contrats pouvant inclure les conjoints et enfants), et le prix est fixé par un forfait ne dépendant pas du revenu. Le recours à une complémentaire est indispensable avec la LAMal.
  • Ou de souscrire une assurance santé privée, c’est le droit de sous-option, qui est le système le plus avantageux financièrement pour les assurés, leur permettant d’être bien remboursés quel que soit le côté de la frontière où l’on bénéficie des soins.

La nouveauté est que suite au vote de l’assemblée nationale en fin d’année dernière, la prolongation du système dérogatoire n’a pas été acceptée, par conséquent le recours à une assurance privée pour les travailleurs frontaliers ne sera plus possible à partir du 1er juin 2014, matérialisant la fin du droit de sous-option. Les personnes qui devront choisir un régime d’assurance maladie n’auront la possibilité de le faire qu’entre le régime suisse ou français (c’est le droit d’option qui reste toujours en vigueur) ; et les personnes résidant en France ayant déjà opté pour une assurance privée n’auront pas d’autres choix que de s’affilier à la CMU.

Or, sur les 169 000 frontaliers travaillant en Suisse, on estime qu’environ 90%[2] d’entre eux ont opté pour l’assurance privée. A partir de là, il est facile de comprendre pourquoi la décision de l’Assemblée nationale va provoquer un grand chamboulement pour ces travailleurs transfrontaliers.

Le mécontentement des travailleurs frontaliers

Si l’échéance de l’accord sur le droit d’option était bien connue des transfrontaliers suisses, la plupart croyaient à une prolongation du droit d’option après 2014. Mais depuis le refus de l’Assemblée Nationale en octobre dernier, et l’annonce de Marisol Touraine, Ministre des Affaires sociales et de la Santé, le 20 janvier dernier sur la fin du droit de sous-option, la colère des frontaliers travaillant en Suisse est montée d’un cran.

Entre manifestations, dont la dernière en date a réuni plus de 11 000 personnes le 1er février dernier, courriers adressés au Ministère de la Santé pour revendiquer une période de transition étendue, les travailleurs n’entendent pas relâcher la pression. Soutenus par le GTE (Groupement Transfrontalier Européen), l’Amicale des Frontaliers ou le CDTF (Comité de Défense des Travailleurs Frontaliers), les frontaliers suisses ont exprimé plusieurs craintes par rapport à l’abandon du droit d’option :

  • La première crainte est celle du coût des cotisations pour l’assurance maladie. Les contrats privés étaient clairement les plus avantageux financièrement pour les assurés, et les transfrontaliers craignent de devoir payer double : en devant choisir une assurance mutuelle complémentaire en plus de l’affiliation à la CMU.
  • Par ailleurs, certains emplois sont directement menacés par la baisse d’activité que cela va engendrer auprès des assureurs privés de la région. Selon Alain Marguet[3], Président de la Mutuelle La Frontalière, qui proposait justement des contrats sur mesure pour ces travailleurs transfrontaliers, il faut s’attendre à la suppression d’environ 500 postes dans ce secteur, directement liée à la fin du droit d’option. D’autres observateurs craignent également des difficultés d’organisation pour les Caisses Primaires d’Assurance Maladie, qui devraient récupérer 150 000 assurés entre juin 2014 et mai 2015 (le basculement vers la CMU s’effectuant à la date d’anniversaire des contrats), et devront donc être suffisamment armées pour faire face à ce pic.
  • Enfin, pour ces travailleurs, la suppression de ce droit d’option vient compliquer le contexte actuel dans la région : en février dernier les Suisses ont déjà voté par référendum la fin de « l’immigration de masse », amorçant une phase de protectionnisme ambiant pouvant aller à l’encontre du principe européen de libre circulation des travailleurs, même si les conséquences précises de ce vote sont difficiles à établir. Le recours à une assurance privée permettait effectivement aux transfrontaliers de se soigner aussi bien en Suisse qu’en France.

Le gouvernement tient le cap

Du côté du gouvernement, on affirme que l’affiliation à la CMU ne coûtera pas plus cher qu’une assurance privée pour les salariés. Outre les profits importants pour la Sécurité Sociale estimés à plus de 250 millions d’euros par an, revenir sur ce droit de sous-option, dont bénéficiaient les transfrontaliers semblait être également une question d’équité. En effet, le reproche qui pouvait être fait à ces frontaliers français était de cotiser à une assurance privée, moins chère, mais à ne pas hésiter à se tourner vers la Sécurité Sociale dès qu’ils étaient confrontés à un problème de santé sérieux, ou à l’augmentation de leurs primes en raison de leur âge ; ce qui engendrait un déséquilibre important pour l’Assurance Maladie.

Il est donc intéressant pour la sécurité sociale de récupérer ces transfrontaliers, qui constituent une population assez jeune, avec des dépenses pour soins médicaux moindres, et qui vont cotiser comme les autres. La récupération de ces transfrontaliers ne ne devrait pas creuser le trou, au contraire, cela devrait apporter un équilibre.

Mais face à des réactions négatives en chaîne, le gouvernement tient bon, même si des assouplissements ont été proposés pour favoriser la transition :

  • Evolution progressive du taux de cotisation : suite à de nombreuses discussions avec les associations, le gouvernement a accepté de proposer un taux de cotisation provisoire fixé à 6% jusqu’au 1er janvier 2016. Passée cette date, le taux sera fixé à 8%.
  • Possibilité de choisir librement son médecin traitant en Suisse ou en France, le but est là de permettre une continuité pour les personnes qui avaient l’habitude de se faire suivre en Suisse.

Il faut également préciser que les nouveaux travailleurs pourront toujours opter pour la LAMal, en revanche, ceux qui avaient souscrit une assurance privée devront forcément s’affilier à la CMU. D’autres aménagements devraient permettre à des habitants des régions désertées par les médecins de faciliter l’accès aux soins en Suisse.

Si les travailleurs transfrontaliers ont l’intention de continuer à se faire entendre pour préserver leur droit de recourir à une assurance privée ; ce régime sera bien aboli en juin prochain. Reste à savoir comment se fera la transition dans une région déjà secouée par la règlementation, la Suisse commençant à montrer des signes d’hostilité envers les travailleurs étrangers.



[1] Source : Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS) N°2013-079R : http://www.igas.gouv.fr/IMG/pdf/IGAS_2013-079R.pdf

[2] Source : http://www.frontalier.org/assurance_maladie_frontalier_2014.htm