Fin janvier 2018, les médias internationaux avaient fait état du sauvetage difficile de l’alpiniste française Elisabeth Revol et de la mort de son compagnon de cordée sur le Nanga Parbat, montagne de 8126 mètres d’altitude située dans l’Himalaya. Ils ne disposaient pas d’une police d’assurance appropriée, et de ce fait les hélicoptères qui devaient partir à leur recherche n’avaient décollé que tardivement, après le versement à la société en charge des secours de 40.000$ en liquide, rassemblés à la va-vite.

D’aucuns avaient dénoncé la lenteur des secours et les prix prohibitifs de l’opération. Au-delà de la polémique, plusieurs questions demeurent. Est-il possible pour un alpiniste himalayen de s’assurer ? A quel prix ? Les prestations promises sont-elles au rendez-vous ?

On se propose de répondre à ces questions auxquelles tout alpiniste de l’extrême est confronté, de passer en revue les assurances possibles pour l’ascension d’un sommet de 8000 mètres ou plus, seuil d’accès à la zone dite de la mort (death zone).

Tout comme l’alpiniste de l’extrême, l’assureur prend également des risques considérables. Il a toujours considéré l’alpinisme classique comme une activité sportive dangereuse. Celle-ci, sur la période 2000-2012 et rien qu’en Suisse, à une altitude quasi deux fois moindre que les « 8000 » himalayens, enregistre 32 décès en moyenne par an, soit un pourcentage de 17% qui surplombe pour ainsi dire les taux de 0,27% et 0,1% atteints par le football et le hockey sur glace. En outre, les 14 montagnes de plus de 8000 mètres sont situées dans les massifs de l’Himalaya et du Karakoram, partagés entre l’Inde, le Pakistan, le Népal et la Chine, dans des zones dépourvues d’infrastructures adaptées aux secours contrairement à l’Europe et à l’Amérique du nord.

Assurance alpinisme : quelles sont les garanties possibles ?

Assurance décès

La première couverture envisageable est l’assurance décès. Toutefois, les assurances décès classiques de type temporaire excluent les activités sportives dangereuses. Une expédition himalayenne doit donc faire l’objet d’une clause dédiée ou d’une souscription à une assurance décès spécifique. Il faut demander une étude personnalisée par plusieurs experts de l’assurance décès. On notera que l’assurance ne joue pas en cas de terrorisme comme lors du massacre de Nanga Parbat.

Comment calculer une prime d’assurance décès pour l’alpinisme ?

Pour le calcul de la prime pure, l’assureur reprend les garanties classiques d’une temporaire en tenant compte du risque de surmortalité. Elle s’appuie sur la base de statistiques de décès qu’il établit lui-même :

  • L’ascension des sommets himalayens étant soumis partout à l’achat d’un permis, le nombre de décès par montagne depuis la première ascension a pu être établi. On dispose également par montagne du nom des décédés, de leur âge, de leur nationalité, de la voie d’ascension et de la cause du décès. L’incidence du sexe et de la saison d’ascension peuvent être également mesurés
  • Pour le Népal, une base de données mise à jour tous les six mois liste les expéditions effectuées dans ce pays depuis 1905 en recensant de façon précise la population des alpinistes, les morts, les causes de décès, etc., pour plus de 450 montagnes, notamment de basse altitude (entre 5000 et 6000 mètres). Néanmoins la mortalité secondaire n’y apparaît pas clairement.

L’assureur dispose donc de sources de données relativement fiables. Il pourra mesurer la baisse significative de l’accidentalité mortelle sur les sommets himalayens de ces vingt dernières années, due probablement au routage météo, aux équipements, à l’existence de cartographie et de photos-satellite, à l’amélioration des techniques d’acclimatation à l’encadrement (un « porteur d’altitude » pour 1,4 alpiniste depuis 1986), du choix des voies standard.

Il pourra tenir compte du profil personnel de l’assuré, notamment son expérience, même si celle-ci n’est pas une garantie puisque de nombreux alpinistes expérimentés sont décédés lors de l’ascension ou la descente d’un « 8 000 ».

L’assureur est donc de plus en plus en mesure de chiffrer le risque de décès avec précision.

Reste le cas des guides et des travailleurs d’altitude autochtones. Depuis 2014, ceux du Népal sont assurés pour un capital décès de 16.400$. Les alpinistes y contribuent indirectement par le biais du permis octroyé. 5% environ alimente un fonds de soutien.

Au Pakistan, l’expédition doit assurer le personnel local auprès d’une compagnie nationale : 100.000 roupies (900$) pour l’officier de liaison et le guide de montagne, 50.000 roupies pour les autres.

En plus de l’assurance décès, une assurance obsèques peut être proposée. Néanmoins, elle est souvent inapplicable, les corps des personnes décédées à 7000 mètres étant laissés sur place.

Assurance alpinisme

Vient ensuite la deuxième garantie importante, l’assurance Alpinisme.

On entend par là le regroupement des frais :

  • de recherche
  • de secours
  • de transport vers une structure hospitalière
  • de frais médicaux et d’hospitalisation
  • de rapatriement sanitaire

Il faut être très attentif à la différence établie entre les secours proprement dits, qui ne vous prennent en charge qu’à partir d’une structure hospitalière, et les opérations de recherche en montagne.

Faut-il et peut-on s’assurer ?

Au Népal, l’assurance est devenue de fait obligatoire. Il est désormais interdit à partir de 2018 d’entreprendre une ascension en solo. Il faudra passer par le réseau des compagnies de guides qui exigent systématiquement une assurance évacuation voire souvent une couverture médicale.

Vers quel assureur se tourner ?

Pour la souscription à une police d’assurance, aux USA, les résidents et eux seuls optent souvent pour Travelex ou encore the American Alpine Club (qui pour une prime de seulement 7.500$ prend en charge l’évacuation de l’alpiniste jusqu’au camp de base de l’Everest à 5400 mètres).

A titre d’exemple pour l’Everest, le coût est le suivant :

  • Évacuation Insurance 70$ (American Alpine Club) – ~500$ (Global Rescue/TravelEx)
  • Couverture médicale 500$
  • Assurance secours quelle que soit la raison avec assurance médicale et couverture annulation – 3.000$ (TravelEx)
  • Évacuation par hélicoptère privé depuis Everest côté sud – 5.000$ – 20.000$ dépendant du point de départ et d’arrivée (non disponible côté nord, i.e. le Tibet)

Le montant de la prime dépend largement de l’âge, de la longueur de l’expédition et des frais totaux.

En Europe, certaines associations sportives peuvent théoriquement assurer une ascension mais elles sont prévues souvent pour l’Europe, une étude vigilante des prestations et des exclusions est conseillée. L’assurance FFCAM (CAF) semble a priori satisfaisante avec l’option monde (+87€) mais il vaut mieux vérifier la qualité de l’assistance promise auprès des agences d’expéditions himalayennes, meilleurs juges en la matière de par leur expérience. Celles-ci connaissent et sont habituées à traiter avec les ambassades, les hôpitaux et cliniques répondant aux standards internationaux ainsi qu’aux organismes d’assistance en cas d’urgence. A noter qu’en cas d’invalidité, il faut souscrire en plus une Garantie des Accidents de la Vie (GAV), avec indemnités journalières durant l’incapacité temporaire totale.

A noter le cas particulier mais non négligeable du personnel autochtone. En effet, le nombre de personnes à solliciter lors d’une expédition peut monter jusqu’à plus d’une dizaine et l’expédition prend en charge intégralement les frais, notamment d’hélicoptère. Au Népal, l’assurance médicale est de 4.000$. Au Pakistan, des indemnités journalières égales à 50% du salaire journalier sont versées.

Assurance annulation

Pour ce qui est de l’assurance annulation (ou interruption), elle permet de récupérer les frais d’expédition engagés. Ainsi, en 2014 et 2015 (année du séisme), lorsque la période autorisée d’ascension de l’Everest fut prématurément déclarée close par le gouvernement népalais, 100% des dépenses engagées purent être remboursées.

Les sommes en jeu sont considérables et très variables selon les agences. Par exemple, pour l’ascension de l’Everest :

  • Agences occidentales : entre 40.000$ et 65.000$ tout compris.
  • Compagnies népalaises :de 10.000$ à 25.000$ (dépendant du nombre d’alpinistes), avec un niveau de service plus réduit mais des montants néanmoins conséquents.
  • RMI and Dave Hahn : plus de 115.000$.

Comment l’assureur établit-il ses tarifs et ses conditions ?

Il n’existe pas de modèle classique unique de type assurance non vie permettant de tarifer les garanties de type Montagne (hors décès). En général, le calcul de la prime pure est basé sur un modèle de type fréquence multiplié par le coût moyen.

Frais de recherche

Pour le coût moyen, le calcul des frais de recherche (qui reposent principalement sur l’usage d’hélicoptères) est assez simple car fixé à l’avance, et la durée d’une intervention à peu près connue. Néanmoins, les conditions diffèrent d’un pays à l’autre.

  • Népal : l’évacuation par hélicoptère est devenue très performante si les conditions météorologiques sont favorables.
  • Tibet : l’évacuation est délicate car les hélicoptères étant interdits, l’entraide se fait entre alpinistes, ou parfois par les poseurs de cordes fixes.
  • Pakistan : les seuls hélicoptères et pilotes disponibles sont militaires. L’armée rentabilise ses machines et équipages en confiant toutes les missions commerciales à l’une de ses filiales, Askari Aviation. Les tarifs sont de 3.818$ /heure avec une altitude maximum de vol à 7000 mètres (plutôt 5000 si les conditions sont difficiles). Les hélicoptères volent toujours en couple et doivent revenir à leur base avant la nuit. Il faut s’inscrire au préalable en faisant un dépôt de 15.000$ (récupérable s’il n’y a pas d’intervention, déduction de 300$ de frais de dossier) complété par une garantie financière de son assurance et une garantie de son ambassade. La compagnie, déficitaire suite à la montée du terrorisme et la chute du nombre des alpinistes étrangers, refuse d’intervenir sans ces conditions à cause d’impayés de la part de sociétés d’assurance pour un montant de 280.000$.

On voit notamment que pour des questions de portance de ces appareils, tout alpiniste en difficulté à plus de 6500/7000 mètres ne peut donc compter que sur lui-même ou sur des membres de son expédition.

Frais médicaux

Pour les frais médicaux, les compagnies constituent des historiques de leurs sinistres corporels au fil des ans et sont capables d’en déterminer le coût, la durée et la gravité (engelures, amputations, mal de montagne, fracture, traumatisme crânien, etc.)

Fréquence des accidents

La fréquence des accidents peut être estimée notamment par le biais de l’Himalayan Database, qui donne des indications précises des accidents par expédition. Elle pourra être modulée ensuite selon le profil du souscripteur (âge, club sportif, expérience, sexe, etc.) par le biais de coefficients correctifs.

Au final, quel que soit le sommet, les règles fixées par l’assureur doivent être suivies à la lettre pour éviter un refus d’indemnisation.

 

Depuis la première ascension de L’Everest en 1953 et du K2 en 1954, l’himalayisme représente de façon emblématique la valorisation et la démocratisation de l’aventure dans notre société [Ehrenberg, 1991], qui exige en retour un contrôle croissant des menaces physiques par le biais de normes, de règlements et de couvertures assurantielles, obligatoires ou facultatives.

Le risque étant toujours présent dans l’alpinisme de très haute altitude, la sécurité est devenue pour les protagonistes une préoccupation majeure, matérialisée par toutes sortes de moyens de protection : technologies ultramodernes, techniques d’assurage, médecine, pharmacologie… et polices d’assurance.