La Cour des comptes alertait dans son rapport annuel de décembre sur le besoin urgent de rééquilibrage des comptes de l’AGIRC et de l’ARRCO. L’ampleur de la détérioration des comptes des deux régimes de retraite complémentaire des salariés a été confirmée lors de leurs bureaux de conseil d’administration du 1er avril dernier : résultat global déficitaire de 3,1 milliards d’euros et résultat technique de 5,6 milliards d’euros (consolidation des comptes de l’année 2014, pour les deux régimes).

Les partenaires sociaux, acteurs de la gestion paritaire des deux régimes (syndicats de salariés et MEDEF) ont débuté dès le début de l’année une série de réunions visant à décréter les mesures qui permettront aux deux régimes de rééquilibrer leurs comptes et maintenir leur pérennité.

Des négociations minées par des enjeux économiques, sociétaux voire idéologiques à décrypter

Les réunions de négociation paritaire débutées en janvier dernier ont déclenché des déclarations dans les médias qu’il convient d’appréhender avec prudence, tant les enjeux sont considérables. Si l’ensemble des partenaires sociaux réunis à la table des négociations s’entend sur le constat de la nécessité de réformer l’AGIRC et l’ARRCO, leurs intérêts divergent tant que l’on peine à imaginer qu’ils parviendront à un accord les satisfaisant tous en juin 2015 comme le prévoit le calendrier des négociations.

Déjà, les médias bruissent de pistes de mesures. Pour la plupart, elles actionnent les deux types de leviers habituels de rééquilibrage du rapport encaissement de cotisations / versement des prestations utilisés au fil des réformes des comptes des caisses de retraite par répartition.

Deux types de leviers de redressement des comptes…

Augmenter les cotisations :

  • Allongement de la période de cotisation par décalage de l’âge légal de départ à la retraite pour percevoir une pension de retraite complémentaire à taux plein ou partiel
  • Augmentation du montant des cotisations par élargissement de l’assiette des revenus à la participation et à l’intéressement

Diminuer les prestations :

  • Gel ou baisse du montant des pensions servies
  • Suppression ou diminution du montant des pensions de réversion

… mais également une mesure inédite et controversée : la fusion des régimes AGIRC et ARRCO.

Derrière ces possibilités d’arbitrage mécanique des comptes se profilent a minima trois enjeux majeurs qui sous-tendent les débats :

Le statut même des cadres serait compromis par la fusion des deux caisses de retraite complémentaire, tirant par le bas l’évolution des revenus des cadres, parfaits bouc-émissaires en temps de crise, en supprimant « les seuils de reconnaissance de qualification des cadres dans de nombreuses conventions collectives » (Marie-Josée Kotlicki, CGT)

Le développement de l’épargne retraite, notamment la retraite supplémentaire collective, soit les systèmes de retraite privés par capitalisation dont les enjeux économiques sont considérables pour les assureurs, les mutuelles et les organismes de protection sociale.

Enfin, la nature des leviers actionnés (voir ci-dessus) pourrait faire sauter des verrous symboliques dans l’opinion publique et lui faire accepter une réforme similaire du régime de retraite de base des salariés.

Une évolution du financement des retraites en phase avec la société

On l’aura compris, au-delà de la nécessité de rééquilibrer les comptes de l’AGIRC et de l’ARRCO, c’est l’évolution globale du financement des pensions de retraite qui est en jeu, et sa symbolique. Déjà, les français remettant en question le système de la répartition car ceux qui s’y estiment perdants gagnent du terrain. Les principes de solidarité de notre pays sont de moins en moins automatiques pour les nouvelles générations de salariés élevées aux indicateurs économiques et à des valeurs individualistes aux antipodes des principes qui ont présidé à la mise en place du système de retraite par répartition après la Seconde Guerre mondiale. Le financement des pensions de retraite est, lui aussi, un miroir de l’évolution de notre société.