L’assurance islamique, ou takaful (assistance mutuelle) en version originale, est souvent présentée comme une alternative à l’assurance conventionnelle : elle ferait le lien entre les formes occidentales de garantie et les principes de l’Islam. Encore peu développée, notamment en Occident, elle ne représente aujourd’hui que 2% du chiffre d’affaires du marché mondial de l’assurance. Si le développement de produits charia-compatibles en France présente de nombreux risques, la question de l’intérêt et de la légitimité des acteurs français demeurent.

 L’assurance islamique : késako ?

L’assurance islamique se distingue en excluant de son fonctionnement trois principes à la fois contraires à la Charia (loi islamique) et caractéristiques de l’assurance conventionnelle : l’incertitude (al-gharar), l’intérêt (riba) et la spéculation (al-maisir). Ces interdits ne sont pas sans conséquence sur le fonctionnement des compagnies d’assurance opérant sur ce marché ainsi que sur la relation assuré/assureur.

Démonstration : Tout d’abord, et pour exclure toute notion d’incertitude, les compagnies d’assurances ont introduit le concept de tabarru, comprenez un contrat à titre gratuit. Les souscripteurs versent ainsi une donation (et non une prime) à l’opérateur : ce type de transaction laisse une plus grande marge de manœuvres à l’assureur ; l’utilisation qui en est faite n’étant pas soumise aux mêmes interdictions. Dans un second temps et pour écarter toute notion d’intérêt, le montant du don n’est censé couvrir que les frais de gestion : tout bénéfice est redistribué aux assurés. Parallèlement, et pour éviter cette fois toute spéculation, les opérations de couverture des risques et les fonds des assurés doivent être strictement cantonnés et les éventuels gains doivent être partagés entre l’assureur et les assurés. En outre, certains secteurs d’investissement, tels la pornographie, l’alcool ou encore le jeu sont prohibés. Last but not least, l’ensemble des opérations liées à la commercialisation de ces produits doivent être certifiées par une entité indépendante dont l’expertise en matière de législation islamique bancaire est reconnue. En France, la tâche revient depuis 2010 au CIFIE (Comité Indépendant de la Finance Islamique en Europe).

 La commercialisation de produits relevant de l’assurance islamique en France : un relais de croissance non sans risque

On l’a dit, les produits d’assurance charia-compatibles ne connaissent aujourd’hui qu’un succès confidentiel et cantonné aux pays du Golfe. Ce faible taux de pénétration ne saurait pour autant dissimuler un fort potentiel de croissance, en France notamment où la  communauté musulmane y est la plus importante d’Europe. Il est également important de noter que ce type de produit n’est pas dénué d’un certain ethical appeal face auquel tout assuré soucieux de souscrire à des produits responsables ne resterait pas indifférent. Eric le Baron, directeur général de Swiss Life Assurance et Patrimoine, s’est exprimé dans ce sens lors du lancement d’une assurance vie charia-compatible à destination des épargnants français : « Salam Epargne & Placement est un contrat d’assurance vie qui s’intègre à l’univers de la finance éthique et responsable. Ce contrat répond aux demandes de certains investisseurs particuliers désireux de suivre les principes de la finance islamique et éthique. »

Si de prime abord, l’existence d’un potentiel marché français paraît attractive, elle ne permet pas pour autant, comme a pu le montrer Richard Ghueldre lors de l’AMRAE en février dernier, de mettre un voile sur les différents freins à son développement qui sont autant de risques pour tout assureur désireux de se lancer dans une initiative.

Le tout premier risque à intégrer dans son business plan est réglementaire.

Le législateur français a imposé certaines couvertures de risques qui, de par leurs natures sont contraires aux principes musulmans. Aussi et à titre d’exemple, le code des assurances impose la couverture du risque du suicide, strictement interdit par l’Islam, après une échéance annuelle dans le cadre d’une souscription à une assurance vie. En outre, le code des assurances français interdisant le cantonnement des fonds, tout assureur français désirant se diversifier devra, à l’image de Swiss Life, créer une structure « fonds de fonds ».

Le second est d’une toute autre nature puisqu’il est culturel. Laïcité oblige, le risque image pour les assureurs désireux de se lancer dans l’aventure hallal est réel et à double tranchant parce que ces mêmes opérateurs interviennent parallèlement et principalement sur le marché de l’assurance conventionnelle : la question de leur crédibilité et de leur légitimité se pose également.

Jamais deux sans trois ! Le dernier risque à prendre en considération est plus classique car financier. Parce que le marché de l’assurance islamique n’est pas aussi développée que son grand frère, celui de l’assurance conventionnelle, les coûts associés à la commercialisation de ce type de produit sont conséquemment plus élevés : coûts fixes difficilement amortis, pénurie de main d’œuvre ayant pour corollaire l’inflation des salaires et certification onéreuse tendent à peser lourd dans la balance !

En définitive, la commercialisation à grande échelle de produits charia-compatibles ne peut pas encore représenter un relais de croissance pour les assureurs français tant le retour sur investissement est incertain. Pour autant, le lancement de quelques produits spécifiques à l’image de la stratégie initiée par Swiss Life peut sembler intéressant en vue de gagner en expérience et en expertise dans un secteur à fort potentiel.